Chapitre 1

Eveil

Elle se réveilla comme après une nuit de sommeil trop courte. Elle n'ouvrit pas les yeux, ne souhaitant pas sortir de son rêve. Un rêve ? Était-ce vraiment un rêve ? Des bribes lui revenaient ; elle cherchait à remonter le fil de ce rêve afin de s'en souvenir. Elle ressentit le froid et la solitude, mêlés de haine et de tristesse, puis elle vit une guerre, des bombes, du feu. Pourquoi rêvait-elle de la guerre ? Elle vit aussi une créature ailée, immense, couleur de bronze, nimbée de lumière. La lumière s’essouffla et laissa place à une autre bataille, une autre guerre, mais cette fois dans le ciel. Des créatures de lumière faisaient face à des créatures d'ombre, et les créatures d'ombre furent jetées à bas par celles de lumière. Elle remonta encore plus loin ; elle savait qu'il y avait plus important, plus profond dans ce rêve, alors elle fouilla son esprit. Des images du cosmos lui apparurent, avec de gigantesques créatures reptiliennes voguant à travers les étoiles. Puis ces étoiles s’éteignirent, une à une, jusqu'à ce qu'il n'en reste que deux. Deux étoiles solitaires dansant dans le vide, tournoyant l'une avec l'autre dans un ballet éternel. Elle entendit une voix. Elle prit alors son courage à deux mains et décida d'ouvrir les yeux.


Sa vision était troublée. La lumière, bien que faible, lui brûlait les yeux et l'obligeait à les refermer rapidement. Petit à petit, à force d'essayer, elle commença à distinguer une grande silhouette en contre-jour. Des reflets dorés l’éblouirent. Était-ce une armure ? Elle se frotta les yeux et regarda le reste de la pièce, plus sombre. Le sol était fait de terre, les murs de branchages et de feuillages, des souches en guise de mobilier. Un cadavre humain à peine identifiable gisait à quelques centimètres de la jeune femme.


Elle ressentit comme une décharge électrique en elle. Alors qu'une intense sensation de terreur montait en elle, son réflexe fut de regarder la silhouette lui barrant l’accès à l’extérieur. Face à elle se tenait un immense serpent. La jeune femme, encore allongée, tenta de fuir en reculant. Elle chuta de son lit de fortune, rampa en arrière sans quitter des yeux le reptile. Bien qu'elle fût dans un état de terreur absolu, elle ne put s’empêcher de remarquer que ce serpent était très étrange. Outre sa taille gigantesque, il possédait des bras, et même une poitrine ! Mais le plus étonnant était son visage, il paraissait si humain… et tellement compatissant !


Le saurien recula légèrement en constatant la peur de la demoiselle. Quand il remarqua que le cadavre était la source de cette soudaine terreur, son expression se mua en désarroi : « Il n'y a rien à craindre, nous t'avons sauvée. Nous avons aussi essayé de le sauver mais... » Le reptile marqua un long arrêt. « ...nous avons échoué. ». La jeune femme se détendit légèrement au son de la voix chantante de la créature. Elle pensa que s'ils avaient voulu la tuer, ils l'auraient fait alors qu'elle dormait encore, et cela la rassura davantage :

  • Qui es-tu ? questionna le serpent de sa douce voix.
  • Je… je, bégaya la jeune femme. Je ne m'en souviens pas !
  • Ce n'est pas grave, ne t'en fais pas, j'ai déjà vu ce genre de choses. Je suis Kaësa, cheffe et grande prêtresse de ce village.
  • Grande prêtresse ? Vous êtes une femme ? s'étonna la demoiselle.
  • Tu n'as pas rencontré beaucoup de naga, j'imagine ! Et bien, tu pourras apprendre à nous connaître. Tu pourras rester ici aussi longtemps que tu le souhaites, le temps que tu guérisses. D'ailleurs, comment souhaites-tu que l'on te nomme en attendant le retour de ta mémoire ?
  • Et bien, je… ne sais… pas, à vrai dire, s'inquiéta-t-elle.
  • Que dirais-tu de… Hermine, comme ta fourrure ?


« Ma fourrure ? » demanda-t-elle. Hermine se souvenait d’au moins deux choses : elle était humaine, et les humains n'avaient pas de fourrure. Elle entreprit donc d’inspecter son corps en quête de cette fameuse fourrure. Après tout, peut-être n'était-ce que ses cheveux qui semblaient être de la fourrure pour cette « naga ». Et pourtant, sur le haut de ses fesses trônait un étrange appendice : une longue queue couverte de fourrure fauve à la pointe brune. Kaësa remarqua l'étonnement de son invitée et lui désigna de la main une plaque de métal polie, reflétant autant que le ferait un miroir.


Hermine se précipita pour observer son reflet. Quelle ne fut pas sa surprise de voir qu'en plus de cette queue, elle possédait deux oreilles pointues, également couvertes de fourrure, sur le crâne. Un mouvement dans son dos attira son regard. Elle toucha alors cette étrange masse, douce et duveteuse. C’est alors qu’elle sentit une sensation inconnue dans son dos, comme si elle avait une seconde paire de bras. Elle décida d'étirer ces membres jusque-là inconnus et découvrit, non sans une pointe de fierté, deux grandes ailes cuivrées, ornées de quelques touches de bleu électrique. À y regarder de plus près, ses yeux aussi semblaient bizarres. Elle approcha son visage du miroir et constata que ses pupilles n'étaient pas rondes, mais fendues, telles les pupilles d'un chat. Elle se souvint des chats, elle adorait ces animaux. Avoir les mêmes yeux qu'eux la fit sourire, découvrant des canines allongées, dignes d'un grand félin. Même si cette apparence n'était pas pour déplaire à Hermine, elle savait au fond d'elle que ce n'était pas normal : elle était humaine, et les humains n'ont pas d'ailes, de crocs ou de queue. Elle se tourna vers Kaësa d'un regard interrogatif. Cette dernière comprit sans même un mot qu'une explication s’imposait :


« Les nagas du Bois Doré vivent de la collecte d’antiquités. Nous allons dans les ruines d'avant la Guerre, et nous ramassons tout ce qui nous semble avoir une utilité ou nous semble beau, puis nous l’échangeons avec des marchands itinérants. Il y a quatre jours, nous avons trouvé un endroit comme nous n'en avions jamais vu. Il était loin sous le sol, et pourtant, des lumières magiques l'éclairaient. À l'intérieur, il y avait des boîtes en verre remplies de glace bleue lumineuse, où étaient endormis des humains. »


« Certaines boîtes étaient abîmées, et les humains dedans morts. En vérité, tous les humains semblaient morts. Nous avons décidé de prendre le verre et la glace lumineuse. Mais quand nous avons ouvert ta boîte et t’avons sortie de la glace, tu as recommencé à respirer, comme deux autres des humains. Nous avons décidé de vous ramener au village pour vous nourrir et vous soigner. Sur le trajet, l'un d'entre vous a cessé de respirer. Une fois au village, nous avons attendu, mais vous ne vous êtes pas réveillés. Après quatre jours, je savais que si vous ne vous réveilliez pas, vous alliez finir par mourir de soif et de faim. »


« Un griffon sacré résidait dans notre village, son nom était Œil-de-Feu. Je ne sais pas si tu connais les griffons de cuivre, mais ce sont des créatures magiques. Il a exigé d'offrir sa vie en échange de la vôtre. Je n'avais jamais fait de sacrifice de sang, je ne sais pas si le résultat est celui qui devait être attendu. L'autre humain est mort. De ton côté, tu as hérité de certains attributs des griffons sacrés. Quant à Œil-de-Feu, il a disparu, complètement. Peut-être que le Grand-griffon en personne a décidé de rappeler son fils auprès de lui, et t'a offert sa bénédiction, je ne sais pas. Mais un être sacré a donné sa vie pour toi, tu es donc la bienvenue, autant que tu le souhaites au Bois Doré. »


Cette histoire extravagante laissa Hermine dans le désarroi. En plus de ne pas savoir qui elle était, elle se retrouvait liée à des phénomènes et des lieux que même cette naga, qui pourtant semblait érudite, ne connaissait pas. Elle se réconforta tant bien que mal en pensant à ce que lui avait dit Kaësa quelques minutes plus tôt : « en attendant le retour de ta mémoire ». Bientôt, elle se souviendrait de nouveau.


En attendant le retour de ses précieux souvenirs, elle décida de se consacrer à apprendre qui était cet aimable peuple qui l'avait sauvée d'une mort certaine. Il était étonnant qu'elle n'eût jamais entendu parler des nagas. Elle était intimement persuadée de connaître la majorité des créatures terrestres. Chat, chien, oiseau, serpent… mais rien qui ne ressemblait aux nagas. À part éventuellement les bipes, mais ces créatures-là n'étaient que de petits animaux de quelques centimètres, pas des humanoïdes capables de parler. Les griffons aussi lui semblaient peu familiers. Ce nom lui évoquait plus une légende qu'un animal, mais sans doute n'était-ce que sa mémoire qui lui jouait des tours.

Kaësa lui proposa de visiter le village en compagnie de son petit frère, Scël. C'est en les voyant l'un à côté de l'autre seulement qu'Hermine remarqua que Kaësa semblait recouverte d'or pur et, surtout, qu'elle n'avait pas d'écailles, tandis que son frère, au contraire, en était entièrement recouvert.


Ils sortirent de la hutte. Le village était niché dans une prairie, au creux d'une forêt de chênes et de hêtres. Les couleurs de la nature lui semblaient si vives. Elle avait l’impression que jamais le ciel n'avait été aussi bleu, et les feuilles aussi vertes. Elle inspira profondément. L'air paraissait d'une pureté sans égal. Peut-être était-ce parce qu’elle avait vécu sous le sol autrefois, là où les nagas l'avaient trouvée. Cela expliquerait pourquoi tout lui semblait si beau et si pur.


Le village occupait une clairière où les quelques bâtiments étaient disposés en cercle, adossés à la forêt. Ils étaient tous petits et faits de branchages et de végétaux, à l’exception d'un, immense, en pierre, qui trônait à l’exact opposé de la clairière. Au milieu, dans l'immense espace circulaire de terre battue, s'activaient les habitants, affairés à des tâches aussi diverses que variées. Scël se dirigea vers le bâtiment de pierre, suivi par la jeune femme. Lorsque Hermine passait près d'un villageois, celui-ci la saluait poliment avant de retourner à son ouvrage.


Elle constata qu'aucune naga ne portait de vêtements, mais que toutes portaient des ornements et des bijoux. Certaines portaient également des peintures corporelles. Il était simple de différencier les hommes des femmes : en plus de leur poitrine dénudée, les femmes avaient un corps bien plus svelte, mais aussi plus long que celui des hommes. Des enfants remarquèrent Hermine et accoururent vers elle. Ils semblaient intrigués par ses ailes. « Pour autant que je sache, aucune espèce humanoïde n’est pourvue d’ailes », lui expliqua Scël.


Ils arrivèrent au bâtiment principal. Scël alla s'affaler dans des coussins et des étoffes et invita Hermine à faire de même. Les nagas n'ayant pas de jambes, c'est ainsi qu'elles s’asseyaient : le buste allongé de côté, appuyées sur un coude ou les deux. Parfois, elles utilisaient même leur propre corps comme appui, s'enroulant sur elles-mêmes. Il lui expliqua alors le mode de vie des nagas. Le bâtiment où ils se trouvaient était le cœur du village, l'endroit où, le soir, toutes les nagas se regroupaient pour dîner ensemble. C’est là également qu’elles dormaient.


Contrairement aux apparences, et bien qu’elles soient de lointaines cousines des serpents, elles avaient le sang chaud. N'ayant pas de fourrure, être toutes ensemble dans le même bâtiment était le moyen qu'avaient trouvé les nagas pour ne pas avoir froid la nuit. Elles ne pouvaient pas porter de vêtements, car le tissu avait tendance à se prendre dans les écailles et à provoquer des douleurs. Pendant la journée, chacune vaquait à ses occupations. Toutes étaient libres de faire ce qu’elles voulaient. Hermine demanda si certaines n'en profitaient pas pour ne rien faire. Scël eut bien du mal à formuler une réponse compréhensible. Il lui expliqua que les nagas trouvaient leur bonheur dans le bonheur du clan. Bien que personne n'ait de tâche assignée ou d'emploi du temps, chacun faisait de son mieux pour participer à la vie de la communauté. L'égoïsme était un concept que les nagas ne connaissaient qu’au travers des étrangers.


Hermine se rappela alors que Kaësa s'était présentée comme la cheffe de ce village. Elle questionna Scël sur l’intérêt du statut de ce chef. Encore une fois, cette question lui parut délicate. Il tenta alors de lui faire comprendre. Le concept de bien du clan était intimement lié à la vision du chef. Kaësa était une femme pacifiste et généreuse, ainsi tout le clan se comportait en ce sens. Si elle avait été belliqueuse, le clan aurait été tourné vers l'art de la guerre. Il lui expliqua que le chef n'était pas choisi par le village, mais qu'il s'imposait petit à petit naturellement par son charisme.


Il lui précisa que le nom précis qu'on leur donnait était les nagas dorés. Cela venait du fait que les chefs avaient toujours les écailles dorées, là où le reste du peuple les avait de couleur brune ou sable. Seuls les membres les plus charismatiques gagnaient, avec l'âge, des écailles aux reflets métallisés. Hermine regarda alors machinalement vers la fenêtre et constata en effet que la majorité des membres du village avait les écailles brunes ou jaunes. Seuls quelques-uns avaient de très légers reflets métallisés, encore plus discrets que ceux de Scël.


La jeune femme voulut en savoir plus sur cet étrange peuple qui ne ressemblait à rien de ce dont sa mémoire voulait bien se souvenir :

  • Et les griffons ? Kaësa m’a dit qu'ils étaient sacrés, est-ce une religion ?
  • Encore une question compliquée, s'amusa Scël. Vois-tu, il y a des milliers de lunes de ça, il y a eu une guerre, la pire de toutes, tu connais forcément cette histoire.
  • Kaësa l'a évoquée tout à l'heure mais cela ne me dit rien du tout, qui opposait-elle ?
  • Entre tous ! Nous, les mortels, nous nous sommes pris pour des dieux, nous avons failli détruire le monde à cause de cela. Depuis, il est interdit de créer ce que nos ancêtres appelaient de la « technologie ».
  • C'est Kaësa qui vous l'a interdit ? s'étonna Hermine.
  • Ahaha, non, bien qu'elle soit également contre, ce n'est pas elle qui nous l'a interdit, mais les Immortels. D'ailleurs, cela ne s'applique pas qu'au Bois doré, mais à la Terre entière !


Les Immortels. Voilà un nom qui semblait presque grave à entendre aux oreilles d'Hermine. Elle hésita à demander qui ils étaient, mais elle finit par s'y risquer :

  • Tu vas me trouver idiote, mais je ne sais même pas ce qu'est un Immortel, annonça-t-elle en rougissant.
  • Le seul point commun qu'ils ont, c’est, comme leur titre l’indique, d’être immortels, ironisa le serpent. Ce sont des êtres magiques et très anciens. Certains vivent parmi les mortels, et d'autres cachés. Tu m’as demandé si la sacralité des griffons était une religion. Pendant la guerre, un Immortel, le Grand-griffon, a lutté corps et âme pour ramener la paix entre les peuples. Cela ne fait pas de lui un démiurge, mais tous se sont accordés pour le considérer, lui et ses enfants, comme sacrés.
  • Et qu'est-ce que cela implique de faire, ou de ne pas faire ?
  • Eh bien, pour la plupart des peuples du monde, seuls les griffons à la couleur de cuivre, à l'image du Grand-griffon en personne, sont sacrés. Leurs avis et leurs demandes seront pris très au sérieux et, si possible, exaucés. Pour nous, les nagas dorés, tous les griffons sont sacrés, de celui faisant la taille d'un moineau à celui faisant la taille d'un cheval. Mais la majorité est soit sauvage, soit totalement indifférente aux relations entre les peuples, alors la plupart du temps, cela implique simplement que chacun fait comme il le souhaite.


Hermine était fascinée par tout ce que lui expliquait Scël. Pour ce qui lui semblait être la première fois de sa vie, elle se sentait libre. C'était une sensation étonnante. Il lui semblait que son passé n'était constitué que de méfiance, de mensonges et de faux-semblants. Comme si la bonté sincère et simple n'avait jamais eu sa place dans sa vie d'avant, et que seulement maintenant, elle pouvait être libre. Elle n'était pourtant pas une naga, et cela ne faisait que quelques heures qu'elle était en leur compagnie. Et pourtant, il lui semblait que leur philosophie de vie était celle dont elle avait toujours rêvé.


Le soleil était encore assez haut dans le ciel et le soir ne tomberait que quelques heures plus tard. Après avoir passé un long moment à discuter du clan en buvant un jus de fruit, Scël décida de lui présenter certaines personnes et certains lieux. Ils commencèrent ainsi leur promenade au cœur du village. Il lui présenta le forgeron, dont l’essentiel du travail consistait à réparer les bijoux de tout le monde. Les nagas ne cultivant pas, et le clan du Bois doré étant particulièrement pacifique, il n'y avait nul besoin pour le forgeron de fabriquer des outils, et rares étaient les armes que ce peuple utilisait. Ils allèrent ensuite à la rencontre des anciens du village.

Les anciens étaient les garants du savoir, ceux qui enseignaient aux petites nagas tout ce qu’elles devaient savoir sur la forêt : quelles baies pouvaient être mangées, quels étaient les signes de présence d’un prédateur ou d’une proie. Toutefois, ils ne s’occupaient que des plus jeunes. Ceux en âge de se rendre dans la forêt étaient accompagnés par le maître de chasse. Bien que naturellement dotés d’atouts en faisant d’eux des prédateurs, comme leurs crocs ou leur corps puissant, les nagas utilisaient des lances ou des dagues pour la chasse. Non pas pour prendre moins de risques, mais bien pour épargner à leurs proies une trop grande souffrance en les achevant le plus rapidement possible. Bien qu'omnivores, les nagas se nourrissaient principalement de viande, essentielle à leur survie. La plupart des nagas, même s'ils n'étaient pas malades, ne digéraient pas les plantes. Elles s'en servaient plutôt pour varier les saveurs ou simplement se faire plaisir.


Tout ce qui était pris à la nature devait servir, de la viande aux os en passant par la peau et les tendons. Rien n'était jeté. Les plantes également jouissaient de ce traitement. Si une naga coupait ou arrachait une plante, elle devait en replanter une. Scël expliqua que dans cette région du continent, la majorité des peuples vivaient ainsi, ne prenant que le nécessaire et réparant autant que possible leurs fautes. Il expliqua également que ce comportement inspirait très régulièrement les griffons à offrir des cadeaux aux clans. Il était courant qu'un griffon dépose la carcasse restante de sa chasse auprès d'un village afin de permettre à ses habitants d'utiliser ce qu'il ne mangeait pas, comme la peau ou les os. Parfois même, bien que cela restait rare, ils apportaient des gemmes ou des pierres précieuses afin de remercier les habitants pour leur bienveillance vis-à-vis de la forêt.


Scël porta sa main au bracelet qu'il avait autour du poignet. C'était un bracelet épais et très ouvragé, orné d'une sublime pierre rouge flamboyante. Il raconta à Hermine l'histoire de ce bijou. C'était Œil-de-Feu qui, avant de venir vivre au village, aurait combattu un phœnix et lui aurait arraché le cœur, qui était devenu cette gemme. Le village l'aurait nommé Œil-de-Feu pour cette raison. Scël parut attristé. Cette histoire avait dû faire remonter en lui des souvenirs douloureux. Hermine ne savait quel comportement adopter. Scël releva le nez de son bracelet, sourit à la jeune femme et l'invita à continuer la visite.


La journée avança, et Scël apprit une multitude de choses à Hermine avant que le soir ne tombe, afin qu'elle puisse être rapidement autonome. Quand enfin le soir arriva, une bonne odeur de viande grillée envahit le village. Les nagas les plus affamés se rendirent au bâtiment principal pour le dîner, alors que de nombreuses autres choisirent de profiter des dernières lueurs de la journée pour finir leur ouvrage. Kaësa rejoignit Hermine et lui proposa d'aller manger :


  • Je suis affamée ! Je n'ai pas eu le temps de manger de la journée ! Alors, notre village te plaît ? s'enquit la naga.
  • Énormément ! J'ai comme un sentiment étrange de ... elle chercha ses mots, paradis ! Comme si votre mode de vie était celui dont j'avais toujours rêvé !
  • Eh bien ! Soit tu viens d'un village comme le nôtre, soit c'est tout l'inverse, et dans ce cas, j'ai hâte que tu retrouves la mémoire pour que je sache où je n'irais jamais vivre ! s'esclaffa Kaësa.


Pendant que le repas et l'heure avançaient, le village entier finit par rejoindre le bâtiment. Les villageois profitaient de ce moment pour échanger leurs expériences sur la journée et partager les informations qu’ils avaient recueillies. C'était donc un moment important pour Kaësa afin de connaître les problèmes qui pouvaient se poser et les régler. Heureusement, ce jour-là, aucun souci majeur ne se présenta.


Après le repas, Kaësa alla voir un de ses chasseurs. Il s'était blessé le jour même, et elle souhaitait lui rappeler de passer la voir le lendemain matin pour refaire ses bandages. Timidement, Hermine demanda à la cheffe des nagas si elle pourrait l’assister aux soins de ce chasseur :

  • Tu te rappelles de connaissances de guérisseur ? demanda Kaësa.
  • Je ne pense pas, mais je crois que j'aime ça, bredouilla Hermine.
  • Eh bien, pourquoi pas ! Ce ne sont que de petites blessures, alors ça ne prendra pas longtemps. Tu auras tout le reste de la journée pour aller essayer d'autres occupations !


Dehors, les étoiles brillaient de mille feux dans un ciel sans lune. La plupart des nagas s'étaient roulés en boule sur des coussins et des étoffes rembourrées pour dormir. Quelques couche-tard discutaient en chuchotant dehors pour ne pas déranger leurs camarades. Calée sur un immense coussin moelleux, Hermine se remémora cette journée ; elle lui semblait être la plus belle de sa vie. Dommage qu'elle ne se souvienne d'aucune autre pour comparer. Alors qu'elle pensait à tout cela, le sommeil l'emporta peu à peu. Elle luttait, de peur de ne pas se réveiller dans ce monde fantastique.


Elle entendait les nagas discuter à voix basse dehors. Elle remarqua soudain que l’une d’elles avait une voix effrayante, qui lui semblait sortie des tréfonds de l'enfer. Elle l'appela. Trop fatiguée, elle n'ouvrit même pas les yeux. Elle l'appela de nouveau, chuchotant dans son oreille, si proche qu'elle sentit son souffle sur sa peau. Un frisson de terreur lui parcourut l'échine et elle ouvrit les yeux. Tout était noir. Elle n'entendait ni le crépitement du feu, ni le chuchotement des nagas. Seulement cette voix démoniaque qui l'appelait.

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