Au cœur des montagnes inhospitalières de l'Himalaya, un peuple nomade, aussi diversifié que les étoiles parsemant le ciel nocturne, sillonnait les crêtes rocheuses et les vallées escarpées. Parmi eux marchaient des mortels aux origines multiples, des humains côtoyant des minotaures, des kitsunes, des nagas des roches mais aussi des dieux aux pouvoirs bien dérisoires face à la rigueur des hauteurs. À leur tête, le couple vénéré formé par Izanami et Izanagi, guidait leur destinée à travers ces terres sauvages.
Leurs pérégrinations les menèrent, une belle matinée d'été, au bord d'un lac paisible, dont les eaux calmes reflétaient les sommets éternellement enneigés des montagnes environnantes. Autour de cette étendue d'eau, des autochtones, adeptes des arts occultes et des rituels impies, s'adonnaient à des pratiques interdites. Des mages de sang, avides de puissance, cherchaient à dominer une créature qui vivait dans les profondeurs du lac, ignorant les échos de la colère qui grondait dans les ténèbres aquatiques.
Pour les dieux nomades, témoins de cette profanation de la nature, l'affront était insupportable. À la vue de ces mortels maudits qui osaient torturer une créature magique pour lui voler sa puissance, un profond courroux s’empara d'eux. Animés par la volonté désintéressée de protéger les êtres vivants de toute forme de malveillance infondée, Izanami et Izanagi se dressèrent contre les mages de sang, déterminés à mettre fin à leurs sinistres desseins.
La bataille qui éclata fut une danse macabre entre la force corrompue des mages de sang et le pouvoir des dieux nomades. Les lames s’entrechoquèrent, les flèches fendirent l'air. Malgré leur pouvoir, certains membres du panthéon firent l’amère expérience de malédictions, de blessures et de souffrances. Dans ce tourbillon chaotique de lames et de magie, les dieux luttaient avec acharnement, guidés par leur désir de protéger la vie et l'équilibre fragile de la nature, tandis que les mages tentaient désespérément de s'emparer de la puissance endormie au fond du lac.
Épuisés et terrifiés face à la mort qui rôdait, Izanami et Izanagi se battirent avec d'autant plus de ferveur, leurs cœurs lourds de peur face à l'avenir incertain qui les attendait. Chaque attaque lancée, chaque coup évité, était une goutte de sueur et de sang versée pour défendre l'âme sommeillant au fond du lac. Mais dans leur triomphe, Izanami et Izanagi ne réalisaient pas encore la véritable nature de la créature endormie sous les eaux. Ils avaient sauvé le lac, mais sans savoir qu'ils avaient également aidé l'un des très légendaires dragons du Zodiaque.
L'être céleste qui sommeillait au fond des eaux avait la triste habitude de voir sa puissance sapée par des mages de sang. Ces sangsues infâmes le traquaient sans cesse, où qu'il aille. Ils n'étaient rien face à cette créature, pas même des insectes, tout juste des poussières. Mais elle n'était pas d'une nature à faire le mal. Pas même pour se défendre, ni même pour protéger le reste du monde vivant du mal que pourraient faire les mages avec la puissance qu'ils lui dérobaient. Éternelle pacifiste, elle ne pouvait que fuir, se cacher, espérer qu'au fond des lacs les plus profonds du monde, ils ne la trouveraient pas. Pas trop rapidement.
Mais cette fois, sans qu'elle ne l'ait même espéré, de l'aide lui avait été apportée. Cela ne l'enchantait guère que cela fût par la mort, mais ces créatures qui l'avaient aidée l'avaient fait sans même savoir qui elle était, ce qu'elle était, uniquement guidées par la générosité. Alors elle décida de se révéler à ses sauveurs. Émergeant du fond sombre du lac, sous la lumière éclatante du soleil brillant à son zénith, l'eau ruisselait sur son corps, cristallisant en délicats flocons dans l'air froid de la montagne.
Devant les dieux et leur peuple, une créature telle qu'aucun d'eux n'en avait jamais vue se révéla. Un dragon dont la tête touchait les nuages, ses cornes de bois torsadées effleurant le firmament. Elle déposa délicatement les sabots de ses pattes de bois sur la berge, laissant deviner le reste de son corps à moitié immergé dans l'eau, une immense queue serpentine ornée de nageoires. Le vent faisait onduler les feuilles qui remplaçaient les écailles de son corps, berçant le lac du son d'une forêt caressée par la brise. Elle étendit ses imposantes ailes pour les étirer, permettant à son public d'admirer son plumage fait de longues feuilles émeraude.
Elle, qui était aussi grande que les montagnes qui l'entouraient, se pencha autant qu'elle le put vers les petits êtres qui lui faisait face, aussi intimidés qu'admiratif :
- Je suis Capricornus. Vous qui m'avez aidé, sans même savoir qui j’étais, puis-je vous offrir quelque chose en remerciement ? S'enquit-la dragonne céleste.
- Que pourrions-nous demander à une créature telle que vous, répondirent humblement les dieux. Tout ce que nous souhaitons, c'est vivre en paix.
- C'est aussi ce que je désire, répondit-elle doucement. Puis, après une seconde de réflexion, elle reprit : Donnez-moi un de vos instruments de vie.
Izanagi, hésitant un instant sur le sens profond de la demande de Capricornus, se décida finalement à lui offrir sa lance, symbole de sa puissance et de son statut de chef. Dans un geste empreint de respect, il tendit l'arme vers la dragonne céleste. À peine la pointe de la lance avait-elle quitté sa main que quelque chose d'étrange se produisit : elle s'éleva doucement dans les airs, portée par une force invisible, comme si elle avait une volonté propre. Dans un mouvement presque solennel, elle atteignit le poitrail de la créature, plusieurs dizaines de mètres plus haut. Là, elle se posa avec une délicatesse inattendue, effleurant à peine l'écorce qui couvrait le cœur de la majestueuse dragonne.
Puis, toujours mue par une force mystique, la lance s'enfonça doucement dans le bois, faisant craquer les fibres de l'écorce d'un son presque imperceptible. L'assemblée tout entière fut choquée, figée dans un silence absolu, retenant même leur souffle face à ce spectacle irréel. Mais Capricornus, impassible, ne manifesta aucune réaction visible. Seules quelques feuilles, détachées de sa crinière de jade, tombèrent lentement vers le sol, puis s'évanouirent en minuscules volutes de fumée. Elles vinrent alors s'enrouler délicatement autour de la petite lance, dansant autour du manche, semblant le refaçonner à leur guise.
Soudain, une sève épaisse et sombre commença à s'écouler de la plaie fraîchement ouverte. Pourtant, à y regarder de plus près, il s'agissait davantage de sang, mais d'un sang étrangement différent. Noir comme la nuit sans lune, il était constellé d'une myriade d'étoiles lumineuses, brillant de mille nuances de vert, comme autant de joyaux célestes capturés dans son obscurité profonde. Le liquide vital fila le long de la lame de la lance, avant de se rassembler à sa base, dans une alcôve en forme d’œuf. Là, sous les yeux ébahis des dieux et des mortels, il se transforma lentement en une gemme d'un noir profond, mouchetée de paillettes émeraude scintillantes. Une pierre d'une beauté inégalable, tant par son apparence envoûtante que par son origine transcendante.