Le vent portait encore le goût de l’hiver. Le printemps s’attardait, comme pris de doute. Sous les nuages blancs et bas, Oran avançait dans les hautes herbes d’un vieux talus, les bottes humides, les mains dans les poches. Il ne cherchait rien , pas vraiment, mais il trouva. Cette fois, c’était un fil d’or. Pas doré, non. De l’or. Pur comme le soleil d'été, tressé finement, souple comme une soie. Il pendait à la branche nue d’un vieux frêne, trop isolé pour avoir vu passer un bijou de noble. Et pourtant, il était là, luisant entre deux bourgeons encore clos.
Oran l’attrapa du bout des doigts, le cœur battant. Ce n’était pas la première fois que ce genre de chose arrivait. Des objets étranges, jamais dangereux, mais jamais ordinaires non plus. Un galet à facettes, un œuf d'argent, une feuille parfaitement bleue un matin de brouillard. À chaque fois, il les portait à Ulméros, le mage du roi. À chaque fois, le vieil homme fronçait les sourcils un peu plus fort.
Quand il arriva au château ce jour-là, Ulméros n’attendit pas qu’il s’explique. Il prit le fil d’or, le tourna dans sa main parcheminée, et dit seulement : « Encore toi. ». Il saisit le fil, et s'en allât, laissant Oran seul, sans savoir ce qu'il devait faire à présent. Alors le jeune homme s'en retourna à sa vie simple de garçon de ferme ; lui qui avait espéré que ces incroyables découverte lui eu valut un jour le droit d'entrer visiter la cour. Ou peu être même, devenir apprenti mage ! A quoi servaient ses cadeaux du monde s'ils ne lui ouvraient aucune porte.
C'est pour cela que le lendemain quand les cloches sonnèrent pour appeler tous les habitants de la ville à se rendre à l'agora, il hésitât à ne pas s'y rendre. Mais il se ravisa, après tout, cela aurait été un crime de ne pas y aller au cas où le roi aurait trépassé. Dans le doute, il s'y rendit.
Quand il vit l'être amaigrie, croulant sous les tissu lourd d'apparat, son visage pâle et émacier étouffé sous sa lourde couronne, Oran se dit que finalement, il aurait bien pu s'abstenir ! Mais puisqu'il été la … la voix d'Ulméros le tira de ses pensée :
- Je parle au nom de notre roi ! Le mal qui ronge notre pays prendra bientôt fin !
Le silence gêné de la foule fut la seule réponse. Personne n'était dupe, le roi n'en avait plus que pour quelques semaines, et aucun des remèdes du mage n'avais eu d'effet. Si même le roi ne pouvais être soigné, comment toute les gens du petit peuples le seraient ?!
Le mage reprit, confiant malgré la foule : « Des dons nous sont parvenus, des cadeaux des dieux. J'ai bu le thé du brouillard, manger l’œuf de l'argent et chanté les louanges de chaque facette, et Ostara m’a envoyé une vision. Un héraut nous apportera son vœux. Toi, Oran, tu est ce héraut ». Un hoquet sortit de la bouche du jeune homme, alors que des centaines d'yeux se tournaient vers lui. Il tentât de cacher la grimace qui montait en lui. Visiter la cours, oui, mais de la à être le messager de … il n'avais même pas comprit le sens des mots d'Ulméros !
Le mage sortit de sa tunique le fil d'or, et fit signe à Oran d'approcher. Ce dernier se dirigeât vers l'estrade, tremblant, ses jambes manquant de se dérober à chaque pas. Quand il fut à quelque pas du roi, une nausée l'envahi. Pas seulement à cause du stress, mais aussi car l'odeur de la mort qui l'entourait. Il se força à ne rien montrer, se concentrant sur le fil d'or brillant au creux des mains du mage. Ce dernier eu la décence de reprendre son discours, bien qu'il n'eut sans doute pas remarqué le dégoût d'Oran.
« Oui, Ostara t’a désigné pour être le porteur de son vœux. Le vœux que notre bon roi se rétablisse enfin ! » Bon roi. A ce mot, Oran peina à retenir un pouffement de rire. Rien n'était bon dans ce roi, si la maladie n'était pas aussi contagieuse, le jeune homme aurait pu croire que c'était un cadeau des dieux.
Quand enfin les murmures dans la foules se dissipèrent, le mage reprit son sermon : « Depuis presque une lune, Oran trouve les dons d'Hazelbryn, le lwa d'Ostara. La déesse m’a montré le chemin, Oran, tu devra coudre sur ce fil d'or autant de feuille qu'il y à d'étoile dans le ciel ! Il te faudra réunir mille feuilles, toutes aussi parfaites que la déesse, toutes aussi différentes que les flocons de neiges. Une lune pour cette quête. Un seul mois, celui de Mai. Alors en échange de quoi, tu aura le droit de voir ton souhait exaucé. ». La foule acclama. Enfin, la fin du grand mal allait arriver ?
Derrière eux, la voix faible du roi porta le silence instantanément : « Certes, pour cette tache qu'un enfant pourrait faire, tu aura accès aux jardins royaux. J'y ai des arbres uniques venu de l'autre bout du monde ... » sa voix se brisa dans un raclement de gorge. Le médecin royal demanda à son maître de ne pas trop parlé, avant de se faire rabroué. « Dépêche toi paysan et tu sera récompensé, part de suite ! ». Oran s'inclina, par protocole plus que par conviction, et se réjouit. Les jardins royaux ! Il devait bien y avoir plus de cents arbres différent, il n'en avait jamais vu que la cime dépasser des murs, mais il allait pouvoir y aller et cueillir les plus belles feuilles ! Après ça, aucune dames ne lui résisterais !
Le lendemain, à l’aube, Oran poussa les grilles des jardins royaux. Le bruit du métal contre le loquet résonna dans l’air froid, un grincement rouillé, plaintif comme si personne ne les avait ouvertes depuis des années. Et en effet, personne ne les avait ouvertes. Le roi n’aimait pas l’odeur des fleurs, disait-on. Trop vulgaire.
Derrière les murs couverts de mousse, un autre monde. Des chemins de sable pâle, des allées de buis taillés comme des soldats, des fontaines figées dans le gel. Et des arbres. Par centaines. L’arboretum du roi. Des feuillages exotiques, des pins torturés, des figuiers, des hêtres, des arbres qu’Oran n’avait jamais vus qu’en gravure dans des livres dont il ne comprenait pas un mot.
Il se jeta sur son fil d’or comme un affamé. Les premières feuilles, rouges, jaunes, dentelées ou pleines, furent cousues sans peine. Il choisissait les plus belles, les plus parfaites. Il les pointait avec l’aiguille que le mage lui avait confiée, taillé dans le galet à facette, fine comme un cheveu. Et la magie du fil faisait le reste, gardant les feuilles souples et fraîches, comme si elles étaient toujours sur la plantes.
À midi, il en avait déjà cinquante-trois. À la tombée du jour, plus de deux cents. Il souriait en pensant aux paysans qui l’enviaient. Cent arbres différents, c’était déjà beaucoup. Deux cents, c’était presque un exploit. À ce rythme, en une semaine, tout serait terminé. Il imagina la cour qui l’applaudissait, la noblesse lui offrant une bourse, les femmes lui jetant des fleurs. Il dormit bien ce soir-là, les doigts tachés de vert.
Le quatrième jour, il se rendit à l’évidence : le jardin était épuisé. Il en avait pris tout ce qu’il pouvait. Même les arbres exotiques s’étaient révélés répétitifs. Le cinabre du cerisier n’était pas si différent du grenat du prunier. Les feuilles restaient des feuilles. S’il voulait en trouver mille, toutes différentes, il lui fallait partir.
Il prit un baluchon, une carte, du pain sec, un couteau ; presque tous ce qu'il possédé en vérité ; et s’enfonça dans les collines. Le ciel devenait plus bleu, les nuages plus légers. On aurait dit que le printemps, enfin, commençait à croire en lui-même. Les premiers jours furent joyeux. Il découvrit des fougères aux formes délicates, de minuscules plantes à fleurs d’ivoire, des tiges étranges et des feuilles inconnu qu’il cousait avec précaution. Il faisait des pauses au bord des ruisseaux, s'amusait des rayons du soleil dansant sur l'eau. C’était presque une promenade.
Jusqu’à la nuit où les loups vinrent.
Ils hurlèrent d’abord. Un cri long et pur, comme un métal qu’on plie. Puis ils vinrent en silence. Oran s’était réfugié sous un vieux chêne, mais ses feuilles ne suffisaient pas à cacher l’odeur. Son odeur. Il courut. Il couru à s'en rompre les jambes, le souffle chaud et fétide des bêtes sur ses talons. Il entendait leurs grognements haletant au creux de ses oreilles.
Il couru si longtemps, que les paysages changèrent. Il trébuchât, se releva, mais n'osa pas regarder en arrière. Les branches lui lacéraient le visage, la boue retenais ses pas et même s'il n'entendait plus les loups il sentait leur yeux de braise dans son dos, alors il couru encore et toujours.
Dans sa fuite effrénée, il perdit tout. Le baluchon, les outils et même une vingtaine de feuilles déjà cousues. Certaines s’envolèrent, arrachée par les branches, d’autres tombèrent dans la boue. Il tomba aussi, écorcha ses genoux. Le fil resta intact, mais sa fierté, non.
Il dormit dans un fossé, grelottant, le ventre vide.