La jeune chatte se redressa doucement après une sieste prolongée, étirant avec grâce ses membres agiles et dévoilant sous son pelage tabby gris la finesse de sa silhouette athlétique. Elle avait appris à aimer ces humains qui l’avaient recueillie avec tendresse, et leur affection sincère réchauffait son cœur. Dans le confort douillet de sa maisonnée, loin du froid mordant et des incertitudes d’une chasse infructueuse, elle savourait chaque instant, consciente de la chance qu’elle avait de ne jamais devoir affronter la rudesse de la nature sauvage.
Pourtant, la curiosité la rongeait de l'intérieur. Elle avait arpenté le village, explorant chaque ruelle et se faufilant même dans les maisons des humains, malgré les balayages furieux de ceux qui ne pouvaient supporter sa présence espiègle. Quelques vieux chats, usés par les années, se laissaient parfois distraire par une partie de jeu timide, mais rien ne parvenait à apaiser son insatiable soif d’aventure. Ce soir-là, alors que l’ennui pesait lourdement sur l’atmosphère, elle agitait sa queue en un mouvement frénétique, comme pour chasser la monotonie, cherchant désespérément un signe, un écho d’excitation pour illuminer la nuit.
Et soudain, une pensée la submergea : ce bois mystérieux qui l'avait tant troublée par son atmosphère envoûtante le jour où ses humains l'avaient emmenée se promener, une longe doucement enroulée autour d'elle, non loin du village. Elle se rappelait encore la lumière filtrée à travers les branches, l'odeur humide de la terre et le chuchotement discret des feuilles caressées par le vent. Elle avait tenté de retourner explorer cet endroit fascinant, de s'y aventurer seule pour retrouver ce sentiment de liberté. Mais à chaque fois, ses humains, ou d'autres âmes bienveillantes, l'en avaient empêchée, brisant ainsi son rêve d'exploration.
Elle ne comprenait pas les murmures énigmatiques des bipède. Le soir, près de la lisière d’un bois embaumé par des brindilles odorantes, elle observait, fascinée, ces curieuses cérémonies. Là, les humains rassemblaient ces petites branches, les enflammaient en un feu parfumé, s’agenouillaient en silence, joignant leurs pattes dans une prière muette, puis fermaient les yeux quelques minutes, comme pour communier avec un mystère invisible, avant de repartir dans le crépuscule. Cette étrange ritournelle lui demeurait incompréhensible, mais ce soir, elle se réjouissait d’avoir enfin échappé à l’attention scrutatrice des humains.
Insouciante, elle franchit une étrange arche rouge vif, parsemée de petits bouts de papier qui flottaient comme des secrets oubliés. Curieuse, elle tenta de jouer avec ces fragments suspendus, mais les mots restaient inaccessibles, trop élevés pour elle. Elle poursuivit son chemin, s’enfonçant dans le bois. Dès qu’elle eut dépassé l’arche, un frisson, tel un souffle glacial, parcourut tout son être. La forêt, mystérieuse et vibrante, offrait non seulement des odeurs et des sons bien différents de ceux de la prairie ou du village, mais semblait abriter une présence énigmatique. Ou peut être des présences … mais elle n'était pas une trouillarde, ça non ! Elle continua d'avancer, tout ses sens en alerte.
Un craquement sec, plus net que les chuchotements habituels du sous-bois, fit vibrer l'air, attirant son regard avec une urgence silencieuse. En un instant, elle tourna la tête vers l'origine du bruit, et une tension fulgurante s’empara d'elle. Elle feula, ses oreilles plaquées contre son crâne, prête à bondir. À quelques pas seulement, l’ombre massive d’un chat se dessinait, un être étonnant, au pelage chatoyant de nuances bleutées, dont les yeux vairons, l’un rose brûlant, l’autre bleu glacial, semblaient sonder son âme. Ce félin, deux fois plus grand qu’elle, la fit frémir d’angoisse. Mais qu’était-ce donc que cette créature énigmatique, surgie des ténèbres de la nuit ?
Il la scruta longuement en silence, ses yeux perçants fixant la jeune chatte sans que sa fourrure ne se hérisse, sans même que sa queue ne s'agite. Ce chat… portait deux queues ?! Au bout de chacune d'elles, de petits orbes incandescents, semblables à des feux éthérés, dansaient avec une grâce hypnotique, presque capable d'effacer la peur qui habitait la petite chatte. L'éclat de ces lumières mouvantes projetait des ombres dansantes sur le sol. Avec une prudence mêlée de curiosité, elle fit un pas, puis un autre, s'approchant lentement de cet être singulier, ses oreilles rabattues et le dos tendu, prête à réagir au moindre mouvement.
Quand ils ne furent qu'à quelques pas, le chat au pelage de neige cligna lentement des yeux, achevant de rassurer la petite minette. Elle se risqua à renifler la truffe de cet inconnu, ses moustaches frémissant sous l'effleurement du vent. Son odeur n'était pas celle d'un simple chat, mais, tout en restant familière, elle évoquait quelque chose de plus. C'était comme si le parfum de cet être renfermait des secrets oubliés et la promesse d'aventures insoupçonnées. Elle ne comprenait pas, mais s'en fichait ! C'était une incroyable découverte, un rêve éveillé qu'elle n'aurait jamais imaginé rencontrer.
Mais quand ce nouveau venu se redressa d'un air indolent, la minette recula d'un bond vif, s'éloignant en courant à travers un enchevêtrement de buissons et d'arbustes. Elle voulait bien observer la créature, mais elle n'était pas prête à risquer sa sécurité. L'idée qu'il puisse l'attaquer la glaçait ; trop petite et frêle pour se défendre, elle imaginait déjà les réprimandes de ses humains s'il venait à la blesser. Ses moustaches frémirent d'appréhension à l'idée d'une nouvelle aventure imprévisible. Sans doute, ses protecteurs ne la laisseraient plus gambader librement si jamais elle se mettait en danger. Résignée, elle poursuivit sa promenade, glissant sous le murmure des feuilles d'argent portées par le vent.
Le reste de la forêt paraissait fade après cette rencontre exceptionnelle. Soudain, de douces lueurs mauves et bleues dansaient entre les feuillages, et elle se jeta avec entrain sur ces reflets, chassant ces ombres pour aiguiser ses talents. Par moments, ses humains jouaient avec le soleil, reflétant sa lumière sur un morceau de verre, la faisant gambader dans une joie fébrile. Elle se délectait de cet instant offerts par la nature. Puis, la réalité reprit ses droits. Ce n’était pas la forêt, mais le chat étrange ! Rapidement, elle reconnut son odeur familière et, scrutant du regard, la vit perché dans un arbre, orchestrant les orbes de feu de ses deux queues pour faire danser mille étoiles.
Voulait-il jouer ? D'un geste prompt et gracieux, elle se jeta sur le tronc robuste de l'arbre, ses muscles se tendant tandis qu'elle escaladait avec aisance la branche où se trouvait le chat. « Viens, Himiko ! » miaula-t-il d'une voix douce et enjouée. Surprise, elle s'arrêta net, une patte levée, figée dans l'instant, son regard curieux scrutant l'inconnu. Elle inclina la tête, se demandant pourquoi, comme le font les humains, il lui avait donné un nom si singulier. Pourtant, le parfum qu'elle dégageait en disait long sur son identité. Sans vraiment savoir pourquoi, une chaleur réconfortante envahit son cœur, dissipant sa méfiance.
« Je suis Noroi » déclara-t-il d'une voix vibrante en s'élançant à travers la pénombre, se dirigeant vers une petite clairière isolée. Intriguée, elle le suivit, ses pas légers l'éloignant de sa maison, emportée par l'appel irrésistible de l'aventure. Elle le vit s'asseoir sur un tronc noueux, tandis que ses deux flammes éthérées s'embrasaient autour de lui, tourbillonnant et illuminant l'air d'une lueur intense. Rapidement, une nuée d'insectes se mit à danser autour de lui, attirée par la lumière ambiante. Himiko, le cœur léger et rayonnant, s'amusa à capturer quelques papillons de nuit et même un gros scarabée, qu'elle trouva tout à fait délicieux.
Les jours s'égrenaient, tissant peu à peu un lien silencieux et précieux entre eux. Noroi prenait un plaisir infini à amuser Himiko, observant avec délice ses yeux pétiller et ses ronronnements résonner comme une mélodie, éveillés par la magie de ses deux queues dansantes. Chaque soir, alors que le ciel s'embrasait de crépuscule, la jeune chatte se rapprochait doucement du matou au pelage blanc, trouvant en lui une chaleur réconfortante et une présence apaisante. Bientôt, leurs nuits se transformèrent en un tendre rituel, Himiko se pelotonnant contre lui, scellant ainsi leur complicité naissante.
Un soir, alors qu'Himiko s'était paisiblement endormie, le silence s'était installé dans la forêt. Noroi, étendu près d'elle, laissa ses pensées vagabonder dans l'obscurité apaisante. Ses yeux mi-clos trahissaient un tumulte intérieur : pouvait-il vraiment tomber amoureux de cette petite chatte ? Lui, nekomata aux dons magiques, éprouvait pour elle une tendresse inattendue, bien qu'elle fût simple et fragile. L'ombre de l'inévitable séparation planait sur lui, la peur de perdre celle qu'il chérissait déjà trop intensément. Dans un geste plein de douceur, il lui lécha le front, sans savoir comment nommer ce sentiment qui le consumait.